Violation du droit au respect de la vie privée d'une homme trans* -  Refus de modification de l'Etat civil (violation de l'article 8 CEDH)

EUROPE: DROITS DES PERSONNES TRANS*

Cour européenne des droits de l'homme, arrêt du 9 juillet 2020, Y.T. c. Bulgarie (Requête n° 41701/16)

Suite à différentes opérations chirurgicales dans le cadre de son parcours de transition, le recourant saisit le tribunal de district, en particulier dans le but d’obtenir la modification de ses prénoms, patronyme et nom de famille, ainsi que la substitution de la mention relative au sexe et de son numéro d’identification civil dans les registres électroniques.
 
Le tribunal de district et le tribunal régional ont refusé d’accéder aux demandes du recourant sur la base de trois éléments principaux. Premièrement, les tribunaux ont exprimé la conviction que la conversion sexuelle n’était pas possible dès lors que la personne présentait des caractéristiques physiologiques sexuelles opposées à la naissance. Deuxièmement, ils ont considéré que la seule aspiration socio?psychologique d’une personne n’était pas suffisante pour faire droit à une demande de conversion sexuelle. Enfin et de toute façon, le droit interne ne prévoyait pas de critères permettant une telle conversion sur le plan juridique (§ 71)
 
La CrEDH rappelle que si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’État à s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à une définition précise mais les principes applicables dans le cas des premières sont comparables à ceux valables pour les secondes (§ 60).
 
Dans des affaires similaires, la Cour a jugé plus approprié d’examiner des allégations liées au refus de réassignation de genre sous l’angle des obligations positives de garantir le respect de l’identité sexuelle des individus (voir, par exemple, CEDH [GC], arrêt du 16 juillet 2014, Hämäläinen c. Finlande [Requête n° 37359/09] §§ 62-64) (§ 61).
 
Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en balance des intérêts concurrents, la Cour a souligné l’importance particulière que revêtent les questions touchant à l’un des aspects les plus importants de la vie privée, soit le droit à l’identité sexuelle, domaine dans lequel les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation restreinte (Hämäläinen, précité, § 67; CEDH, arrêt du 6 avril 2017, A.P., Garçon et Nicot c. France [Requête n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13] § 123) (§ 63).
 
La CrEDH note que les tribunaux n’ont aucunement élaboré leur raisonnement quant à la nature exacte de cet intérêt général et n’ont pas réalisé, dans le respect de la marge d’appréciation accordée, un exercice de mise en balance de cet intérêt avec le droit du requérant à la reconnaissance de son identité sexuelle. Dans ces conditions, la Cour ne peut déceler quelles sont les raisons d’intérêt général ayant conduit au refus de mettre en adéquation l’état masculin du requérant et la mention correspondant à cet état sur les registres civils (§ 71).
 
La CrEDH estime nécessaire de se référer aux recommandations émises par des organes internationaux, notamment le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de sexe, parmi lesquelles se trouve la recommandation faite aux États visant à permettre le changement de nom et de sexe dans les documents officiels de manière rapide, transparente et accessible (§ 73).
 
Elle conclut à une violation de l’art. 8 de la Convention.

Accès direct à l'arrêt (hudoc.echr.coe.int)