Traite des êtres humains à des fins d'exploitation du travail

SUISSE: DROIT PÉNAL

1er avril 2020 et mis à jour en septembre 2020

Anne-Laurence GRAF / Johanna PROBST, La répression pénale de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation du travail en Suisse. Difficultés, stratégies et recommandations, Berne 2020 (langues : français et allemand).

Les auteures de cette étude ont mené une enquête empirique auprès de juges, de procureur?e?s, de membres de la police et d’inspectrices du travail afin de déterminer l’origine de la rareté des condamnations pénales de l’infraction de traite des êtres humains incriminée par l’article 182 du Code pénal suisse en cas d’exploitation de la force de travail en Suisse.
Les personnes ayant participé à l’enquête ont détecté notamment les causes suivantes. 1.) Les personnes interrogées ont expliqué que la victime a quitté dans certains cas la Suisse au moment de l’enquête et du jugement. 2.) En outre, le témoignage peut se révéler insuffisant parce que la victime peut avoir des difficultés à témoigner de façon cohérente et structurée en raison de son traumatisme et de la crainte de représailles. La victime peut également avoir elle-même accepté les enjeux de la situation vulnérabilité. Cette vulnérabilité peut aussi ne plus être visible lors du procès ayant lieu des années après les faits. 3.) De plus, des cas de traite des êtres humains en vue de l’exploitation du travail peuvent ne pas correspondre aux clichés que les acteurs du terrain peuvent avoir sur la traite des êtres humains (femmes enfermées et battues), par exemple lorsqu'elle concerne des hommes ayant une liberté théorique de mouvement mais qui sont tenus par un lien de dépendance économique et sont isolés ainsi qu'en situation irrégulière. 4.) Le secret de fonction peut également entraver la communication des informations entre différentes institutions dans certains cantons. 5.) Les concepts de «traite des êtres humains» et d'«exploitation du travail» ne sont pas définis par l’article 182 du Code pénal suisse. Cela entraîne des difficultés pour les personnes non spécialisées et est considéré comme problématique sur le plan du principe de légalité. 6.) Selon plusieurs juges et policiers, la constatation d’un cas de traite des êtres humains exigerait, contrairement à l’usure incriminée par l’article 157 du Code pénal suisse, qu’une personne soit traitée comme une marchandise (sans égard à sa qualité d’être humain) et qu’elle soit donc atteinte dans son autodétermination, ce qui serait plus difficile à prouver que l’usure. Par anticipation du procès pénal, les personnes chargées des poursuites auraient ainsi tendance à mener celles-ci en qualifiant les faits d’usure afin de renforcer les chances d’obtenir une condamnation.
Les personnes ayant participé à l’enquête ont fait notamment les recommandations suivantes pour remédier à ces problèmes. 1.)  Elles proposent de mettre en place les mesures suivantes afin d’inciter la victime à rester ou à revenir en Suisse pour témoigner: une garantie de droit de séjour, une protection de la victime et de sa famille à l’étranger ainsi qu’une offre de perspectives d’avenir. Comme alternative, elles proposent de faire usage d’enregistrements vidéos et audios afin de montrer, d’une part, l’état de détresse et de vulnérabilité de la victime au moment où elle quitte sa situation d’exploitation, et d’autre part, son langage non-verbal lors de son audition. 2.) Elles proposent de sensibiliser toutes les personnes impliquées dans la répression de la traite des êtres humains ayant pour but l’exploitation du travail. 3.) Elles préconisent aussi un meilleur travail en réseau. 4.) Enfin, elles estiment en majorité qu’une clarification des concepts employés à l’article 182 du Code pénal suisse serait utile. Certaines personnes participantes estiment également utile d’incriminer l’exploitation du travail en tant que telle. Les auteures du rapport reprennent l’essentiel de ces recommandations dans leurs conclusions et précisent que l’abus de la vulnérabilité devrait être considéré comme suffisant pour constater une contrainte dans le cadre de la constatation d’une infraction de traite des êtres humains.
Le rapport est complété par une mise à jour réalisée en septembre 2020 suite à un jugement du Tribunal correctionnel de Genève prononçant pour la première fois une condamnation pour traite des êtres humains dans le domaine de la construction.

Accès direct à l’étude d’avril 2020 (skmr.ch)
Accès à la mise à jour de l’étude de septembre 2020 (skmr.ch)
Direkt zur Studie von April 2020 (skmr.ch)
Direkt zum Update des Berichtes von September 2020 (skmr.ch)