Viol et contrainte sexuelle

SUISSE: DROIT PÉNAL

Tribunal fédéral, 28 mars 2022 (6B_894/2021), prévue pour publication

Contribution invitée par Clara SCHNEUWLY, avocate au Collectif de défense (Genève)

Parmi les arguments entendus fréquemment contre la réforme du droit pénal sexuel, se trouve l’argument selon lequel la loi n’aurait pas besoin d’être modifiée, l’état de sidération pouvant, de par la jurisprudence du Tribunal fédéral, d’ores-et-déjà être pris en considération dans la loi actuelle.

Le Tribunal fédéral vient d’exprimer clairement qu’il n’en était rien.

Le 28 mars 2022, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt 6B_894/2021 rejetant le recours d’une victime de violences sexuelles. Dans le cadre de son recours, la recourante a invoqué que les articles sur la contrainte sexuelle (article 189 CP) et celui du viol (article 190 CP) devaient être interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH et de la Convention d’Istanbul comme rendant punissable tout acte d’ordre sexuel commis en l’absence de l’expression du consentement (« seul un oui est un oui »).

Dans le cadre de son analyse, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion que l’adéquation des article 189 et 190 CP aux exigences de la Convention d’Istanbul pouvait rester indécise en l’espèce, cette dernière ne créant pas de droits subjectifs pour la personne qui l’invoque.

S’agissant de la jurisprudence de la CourEDH, le Tribunal fédéral a admis qu’il découlait des articles 3 et 8 CEDH une obligation positive pour les Etats d’adopter des dispositions punissant de manière effective tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique. Toutefois, le Tribunal fédéral souligne que les Etats jouissent d’une large marge d’appréciation dans le cadre de la définition qu’ils donnent à l’acte sexuel non consenti. Le Tribunal fédéral retient également que la CourEDH n’examine pas si le cadre législatif de manière générale est suffisant dans le pays concerné mais si, dans le cas qui lui est soumis, les faits dénoncés sont couverts par le cadre législatif et si la victime présumée a pu bénéficier d’une protection effective de ses droits. En outre, le Tribunal fédéral indique que la CourEDH ne s’est pas penchée sur un cas où seule l’absence d’expression du consentement était litigieuse en présence d’une législation qui ne punit pas tout acte d’ordre sexuel non consensuel.

Le Tribunal fédéral relève qu’en droit suisse, la contrainte est l’un des éléments constitutifs des articles 189 et 190 CP et que l’interprétation suggérée par la recourante omettrait la notion de contrainte. En application du principe de la légalité, « pas de peine sans loi », la prise en compte de cet élément constitutif s’impose, sa suppression relevant uniquement de la compétence du législateur.
La lecture de la décision de notre Haute Cour permet plusieurs constats. En premier lieu, cet arrêt confirme que le droit pénal en vigueur en matière sexuelle ne permet par l’interprétation selon laquelle l’absence de consentement lors de relation sexuelles serait suffisante pour une condamnation pour contrainte sexuelle ou viol. Ce premier constat amène au second. La question de l’usage d’un moyen de contrainte reste l’élément central de l’infraction. Pourtant, on sait aujourd’hui que l’usage de la contrainte n’est pas toujours nécessaire pour obliger une personne à subir des actes d’ordre sexuel qu’elle ne souhaite pas. Dans le cas d’espèce, il a été retenu dans l’établissement des faits qu’il était possible que la victime n’ait pas souhaité entretenir une relation sexuelle avec le mis en cause et qu’elle ait été rapidement envahie par un sentiment de terreur qui l’avait conduite à renoncer à toute résistance et à se réfugier dans un état de dissociation. La Cour cantonale avait également admis que le mis en cause « n’a prêté aucune attention à la passivité de la victime au moment des actes sexuels et semble s’être préoccupé de son seul plaisir, qui plus est de manière forte inélégante, en se plaçant à califourchon sur le torse de la plaignante pour lui présenter sa verge en vue d’une fellation, en ôtant le préservatif dont elle avait requis le port ou en imposant plusieurs suçons, alors qu’elle s’était plainte d’avoir mal dès le premier […] ». Or, faute de l’utilisation d’une contrainte suffisante aux yeux de la législation actuelle, un tel comportement n’est pas considéré comme une infraction.

Ainsi, une révision des infractions sexuelles est aujourd’hui indispensable et seule un renversement de la présomption du consentement permettra de prendre en compte toutes les situations de violence sexuelle. La Suisse doit adopter une législation dans laquelle les infractions sexuelles seront fondées sur l’exigence de recueillir un consentement valide de son partenaire, car seule cette définition répond le mieux aux besoins des victimes.

Accès direct à l'arrêt (bger.ch)
Accès direct au communiqué de presse (bger.ch)
Direkter Link zur Medienmitteilung (bger.ch)

Gender Law Newsletter FRI 2022#2, 01.06.2022 - Newsletter abonnieren