Viol et contrainte sexuelle : non, c'est non

SUISSE: DROIT PÉNAL

Tribunal fédéral, 14 décembre 2021 (6B_367/2021)

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle qu’une opposition clairement exprimée à des actes sexuels ne peut être interprétée que comme un refus, quand bien même elle serait émise d’une voix calme et sans opposition physique. Il rappelle aussi que des violences précédemment commises par l’auteur doivent être prises en compte.

Les faits sont en substance les suivants. Une femme (A) et un homme (B) habitant ensemble en couple se sont disputé?e?s. Durant la dispute, B a cassé le téléphone portable de A et brisé en deux l’ordinateur portable de celle-ci. A n’est pas parvenue à sortir de l’appartement parce que B avait préalablement fermé la porte d’entrée avec les clés de A. Par la suite, B a tiré A de force pour la faire monter des escaliers. Elle s’est débattue, a basculé en arrière dans les escaliers et B, perdant alors l’équilibre, a marché sur son thorax. A est restée enfermée dans l’appartement. Le lendemain, entre 6h et 7h30 du matin, des actes sexuels ont eu lieu entre A et B. Ceux-ci ont notamment comporté une pénétration par voie anale et vaginale et plusieurs fellations. B a également demandé à A de se masturber. Ces actes ont été partiellement filmés par B dans trois vidéos malgré les demandes de A, exprimées lors de chacune des prises, de cesser de filmer. Dans la première vidéo, A a en outre dit notamment à B « J’te déteste», «T’es malade» et après l’acte, «Tu sais ce que ça s’appelle ça ? C’est du viol.». Dans la seconde vidéo, A a dit à B: «Tu te rends compte que c’est du viol ?». B a répondu : «Non je te viole pas.». A a répliqué: «A peine ouais. J’te viole pas. Séquestrée.».  Dans la troisième vidéo, A a dit notamment à B: «Tu seras fier de m’avoir obligée à faire ça. […]» et «Parce que tu crois que je vais prendre du plaisir comme ça, t’es en train de me forcer à te sucer.». B a ensuite de nouveau quitté l’appartement avec les clés de A qui y est donc restée enfermée. Celle-ci a tenté en vain de s’enfuir par la fenêtre, est restée suspendue à celle-ci et a été secourue par des voisins qui ont entendu ses appels et appelé la police. Deux ans plus tôt, B avait déjà enfermé A dans une pièce de son appartement et fait preuve de violence à son égard. Il avait en outre déjà été condamné pour des violences commises sur son ex-compagne. La Cour pénale II du Tribunal cantonal du Valais a acquitté B, entre autres, des chefs d’accusation de viol, de contrainte sexuelle et de séquestration, tout en le condamnant pour d’autres chefs tels que lésions corporelles simples, dommages à la propriété et injures. Elle a notamment fondé l’acquittement des chefs de viol et de contrainte sexuelle sur une absence de violence et de menace dans les vidéos, sur le fait que A s’y était exprimée sur un ton calme, que ses propos ne coïncidaient pas, de l’avis de la cour, avec la réalité des images, qu’on ne pouvait pas en inférer un refus de relations sexuelles, que A avait embrassé B et qu’elle s’était masturbée.
Devant le Tribunal fédéral, A a contesté l’acquittement des chefs de contrainte et de viol. Le Tribunal fédéral admet son recours pour les motifs suivants. Il rappelle d’abord que pour qu’un acte sexuel constitue un viol (Art. 190 du Code pénal) ou qu’un acte analogue à l’acte sexuel constitue une contrainte sexuelle (Art. 189 du Code pénal ), la victime doit être contrainte à subir ces actes. Il précise qu’une contrainte existe si la victime n’est pas consentante, que l’auteur le sait ou accepte cette éventualité et qu’il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace. Il ajoute que l’article 189 du Code pénal «[…] ne protège des atteintes à la libre détermination en matière sexuelle que si l’auteur surmonte ou déjoue la résistance que l’on pouvait raisonnablement attendre de la victime», tout en rappelant que la contrainte peut être exercée non seulement par violence mais aussi par des pressions psychiques d’une intensité particulière (E. 2.2.1). En l’espèce, le Tribunal fédéral déduit des paroles exprimées par A «de manière répétée et insistante» dans les vidéos que A avait «[…] clairement et distinctement exprimé […] son opposition à se soumettre à des actes de nature sexuelle». Il précise donc qu’il revenait à B «[…] de cesser les rapports sexuels pour, à tout le moins, s’assurer du consentement de sa partenaire, et non en tout cas comme il l’a fait, de simplement la contredire (« non, je ne te viole pas ») tout en poursuivant ses actes.». Le Tribunal fédéral estime ainsi que « […] la cour cantonale ne pouvait pas, sauf à verser dans l’arbitraire, retenir que [l’]opposition [de A] n’avait pas été perceptible par [B]» (E. 2.3.3). Il ajoute que ni l’absence de cris et de pleurs, ni l’absence d’opposition physique, ni les baisers, ni les actes de masturbation n’étaient opposables à A parce que B n’avait pas réagi adéquatement aux refus de consentement répétés par A, qu’il s’était précédemment montré violent et qu’il était plus fort que A. Le Tribunal fédéral relève au demeurant, concernant les baisers et les actes de masturbation, que A avait expliqué vouloir en finir au plus vite en contribuant à l’excitation sexuelle de B (E. 2.3.3). Concernant l’usage de moyens de contrainte pour la réalisation du viol et de la contrainte sexuelle, le Tribunal fédéral estime qu’«[…] il ne pouvait pas être fait abstraction de la crainte que [B] inspirait à [A] au moment des faits, de par ses antécédents de violence à son égard, en particulier lorsqu'il se trouvait contrarié.» (E. 2.4). Il relève à cet égard notamment les violences commises dans le passé par B, ses violences envers A le jour précédant les faits et la détresse de A lorsqu’elle avait tenté de s’échapper par la fenêtre de son appartement. Le Tribunal fédéral en déduit «[…] qu'au-delà de tout doute raisonnable, c'était bien le caractère potentiellement violent de [B], connu de [A], qui l'avait conduite à renoncer de lui résister physiquement, permettant ainsi à [B] de la contraindre à différents actes d'ordre sexuel, sans qu'il puisse être reproché à [A], au regard des circonstances, de ne pas avoir essayé de s'opposer à lui autrement que verbalement.» (E. 2.4). Il conclut « […] qu'en sus des infractions pour lesquelles il avait déjà été condamné, [B] devait être également condamné pour contrainte sexuelle et viol […]». Il annule donc le jugement de la cour cantonale et renvoie l’affaire à celle-ci pour qu’elle se prononce à nouveau en tenant compte des considérants de son arrêt.

Accès direct à l'arrêt (bger.ch)
Siehe Medienmitteilung vom 18. Februar 2022 zum Entwurf für ein modernes Sexualstrafrecht (parlament.ch)

Gender Law Newsletter FRI 2022#1, 01.03.2022 - Newsletter abonnieren