La peine d'emprisonnement avec sursis infligée à une militante des Femen pour exhibition sexuelle dans une église est contraire à l'article 10 de la Convention

EUROPE: ACTIVISTE FEMEN

Cour européenne des droits de l'homme, arrêt du 13 octobre 2022, Bouton c. France (Requête no. 22636/19).

Le 20 décembre 2013, la requérante manifesta, en dehors de tout office, dans l’église de la Madeleine à Paris en se présentant devant l’autel, la poitrine dénudée et le corps couvert de slogans, afin de mimer, à l’aide d’un morceau de foie de bœuf, un avortement. Elle agissait dans le cadre d’une action internationale organisée par son mouvement pour dénoncer la position de l’Église à l’égard de l’interruption volontaire de grossesse. Sa performance fut brève et, à l’invitation du maître de chapelle présent, la requérante quitta les lieux en silence. Le curé de la paroisse déposa une plainte avec constitution de partie civile. Le 7 janvier 2014, la requérante fut placée en garde à vue. Sur la question de sa nudité, la requérante fit valoir devant les enquêteurs qu’il s’agissait, pour elle, de provoquer une prise de conscience et non de commettre l’infraction d’exhibition sexuelle. Elle ajouta que cela correspondait au mode d’action habituel des Femen, qui apparaissent poitrines nues lors de toutes leurs actions publiques afin de détourner l’image de la femme comme objet sexuel pour se l’approprier et en faire un message politique. La requérante fut citée à comparaître par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel pour le délit d’exhibition sexuelle.

Le tribunal correctionnel de Paris refusa, à titre préliminaire, de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») soulevée par la requérante et condamna la requérante pour exhibition sexuelle à un mois d’emprisonnement assorti d’un sursis simple et, sur les intérêts civils, à payer au représentant de la paroisse un montant de 2 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral, ainsi qu’à participer aux frais de procédure de son adversaire à hauteur de la somme de 1 500 EUR. La cour d’appel de Paris ainsi que la Cour de cassation ont maintenu la condamnation du tribunal correctionnel.

La requérante saisit la CrEDH. La requête concerne, principalement sous l’angle de l’article 10 de la Convention, sa condamnation pénale pour des faits d’exhibition sexuelle commis dans une église.

La CrEDH considère que les motifs retenus par les juridictions internes ne suffisent pas à ce qu’elle regarde la peine infligée à la requérante, compte tenu de sa nature ainsi que de sa lourdeur et de la gravité de ses effets, comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Dans ces conditions, la Cour estime que l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante que constitue la peine d’emprisonnement avec sursis qui a été prononcée à son encontre n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Dès lors, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

A noter que dans son opinion concordante, la juge Šimá?ková souligne même que, selon elle, la sanction infligée à la requérante pour sa conduite sur la base de la disposition du Code pénal telle que citée par les autorités nationales était illégale. Cette sanction pénale ne s’appuie pas sur les bonnes dispositions juridiques. Elle relève notamment à la fin de son opinion, à propos de l’objectif poursuivi par la performance de la requérante, que la culture française est connue pour de nombreux exemples de poitrine féminine dénudée en tant qu’expression de la liberté – qu’il s’agisse du Déjeuner sur l’herbe de Manet ou du sein nu de Marianne. Par ailleurs, la société admet voire exige que le législateur discipline les femmes quant à ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas exhiber et utilise même les outils du droit pénal pour ce faire. En effet, les femmes n’ont pas le droit d’être habillées ni trop ni trop peu. Tout le monde est libre, mais les femmes doivent faire attention à ce qu’elles révèlent et à ce qu’elles cachent.

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Gender Law Newsletter 2022#04, 01.12.2022