La cause féministe : un mobile honorable

SUISSE, VAUD: DROIT PÉNAL

Cour d'appel pénal, du Canton de Vaud, 14 janvier 2022

Contribution invitée par Valerie DEBERNARDI, avocate

Le 14 janvier 2022, trois militantes féministes ont été jugées en appel pour des faits qui se sont déroulés dans le cadre de la Grève féministe du 14 juin 2020, à Lausanne.

 
Lors de cette manifestation, qui avait ressemblé plusieurs milliers de personnes, une partie du cortège était à vélo. Le cortège à vélo ne se trouvant pas sur le parcours préalablement autorisé ; il avait été dirigé par un cordon de police le long de l’avenue de Rhodanie. À hauteur de la piscine de Bellerive, 18 personnes ont été interpellées et identifiées. Quelques mois après, les 18 manifestant.e.s ont reçu des ordonnances pénales, pour la plupart identiques et pour les mêmes infractions, hormis les organisatrices qui se sont vues reprocher également des infractions relatives aux ordonnances covid-19.
 
Les trois mandantes de Me Valerie Debernardi et Me Claire Dechamboux étaient parmi les 18 personnes interpellées le 14 juin 2020, à hauteur de la piscine de Bellerive. Elles n’étaient pas organisatrices et ont reçu trois ordonnances pénales identiques, leur reprochant les mêmes infractions, soit une entrave aux services d’intérêts général (239 ch. 1 CP), violation simple des règles de la circulation (26 et 90 LCR,) empêchement d’accomplir un acte officiel (286 CP) et violation du règlement général de la police qui soumet les manifestations à une autorisation préalable (41 RGP).
 
Une fois les dossiers de la procédure reçus, il a été remarqué par les Conseils que la police avait procédé à des enregistrements vidéo. Sur ces vidéos, on pouvait voir de près les visages des manifestant.e.s, souvent pendant que ceulles-ci demandaient aux agents d’arrêter la prise d’images.
 
Devant le Tribunal de police, Me Debernardi a soulevé à titre préjudiciel la problématique de l’illicéité de ces moyens de vidéos, au regard du respect de la sphère privée prévu notamment à l’art. 8 CEDH et demandé dès lors le retrait de ces moyens de preuves illicites, en vertu de l’art. 141 CPP. Le Tribunal de police n’a pas donné suite à cette question préjudicielle, et a débouté les prévenues de leurs conclusions réclamant un acquittement pour les faits reprochés.
 
Cela étant, en deuxième instance, devant la Cour d’appel, les juges ont suivi Me Debernardi et Me Dechamboux sur plusieurs points.
 
À titre préliminaire, il est important de soulever que le jour de l’audience d’appel, Amnesty international a soumis à la Cour une prise de position, exprimant sa préoccupation au sujet notamment du respect du droit à la liberté de réunion pacifique (11 CEDH), ainsi que du droit à la sphère privée (8 CEDH) concernant la prise de vidéos des participant.e.s pacifiques à la Grève féministe du 14 juin 2020. Plus particulièrement, Amnesty a souligné que toute restriction qui ne répond pas aux principes de la légalité, de la nécessité et proportionnalité constituent une violation du droit. Ainsi, la prise de position soutenait que la poursuite des manifestant·e·s pacifiques uniquement, en raison d’une perturbation de la circulation constituait une ingérence excessive et avait un effet dissuasif sur les autres manifestant·e·s.
 
Dans son jugement, la Cour a retenu qu’en étant simples participantes, les prévenues pouvaient être acquittées de l’infraction relative à la demande d’autorisation de manifester (41 RPG).
De plus, les juges ont atténué les peines pécuniaires des féministes de moitié, compte tenu du mobile honorable (48 let.a ch. 1 CP) qui a guidé leurs actes, le 14 juin 2020. La Cour a en effet retenu qu’elles ont agi sans aucune violence, par conviction et non par intérêt personnel.
 
Ce jugement est particulièrement important car c’est la première fois qu’un tribunal suisse a retenu le mobile honorable pour une manifestation à caractère féministe.

Pour plus d’informations :
 
Me Valerie Debernardi, debernardi@petermoreau.ch
https://lecourrier.ch/2022/01/17/la-cause-feministe-est-un-mobile-honorable/

Gender Law Newsletter FRI 2022#1, 01.03.2022 - Newsletter abonnieren