Avis de droit sur la portée du principe de non-discrimination dans la Convention d'Istanbul

SUISSE: CONVENTION D'ISTANBUL

2021

Centre suisse de compétence pour les droit humains (CSDH), Interdiction de discriminer et champ d'application de la Convention d'Istanbul, Avis de droit, Bern 2021.

Contribution invitée par Anne-Laurence GRAF docteure en droit et Nesa ZIMMERMANN, docteure en droit et maître assistante à l'Université de Genève
 
La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) a été conclue le 11 mai 2011 et ratifiée par la Suisse avec effet au 1er avril 2018. Dans un avis de droit rédigé sur mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG), une équipe de chercheurs et chercheuses du CSDH expose et discute de manière critique la façon dont le principe de non-discrimination de l’article 4 par. 3 de la Convention d’Istanbul doit être interprété (en particulier : l’interdiction de discrimination en ce qui concerne l’orientation sexuelle, l’identité de genre ainsi que le statut de séjour) et dans quelle mesure le résultat de cette interprétation a un impact sur l’objectif et le champ d’application de la Convention.
 
L’avis de droit du CSDH examine, d’un côté, le champ d’application matériel, personnel et territorial de la Convention d’Istanbul et, d’un autre côté, les interactions entre le principe de non-discrimination de l’article 4 par. 3 et le champ d’application de la Convention. De manière générale, le CSDH argumente que le principe de non-discrimination de l’article 4 par. 3 de la Convention doit être pris en considération dans l’interprétation du champ d’application de la Convention, au même titre que la systématique, le contexte et la finalité du traité, afin de parvenir à une interprétation cohérente et raisonnable de la Convention. L’avis de droit répond ainsi à plusieurs questions concrètes posées par le BFEG dans sa demande d’avis de droit.
 
Champ d’application territorial de la Convention : obligation de soutien aux victimes d’infraction sans distinction fondée sur le lieu de commission de la violence
 
Le champ d’application territorial de la Convention d’Istanbul est essentiellement circonscrit au territoire de l’État partie. Sous réserve de la poursuite pénale des infractions visées par la Convention et de la protection consulaire, la Convention n’impose pas d’obligations extraterritoriales aux États parties. Toutefois, s’agissant des prestations de protection et de soutien aux victimes de violences, la Convention d’Istanbul impose aux États parties d’offrir ces prestations à toutes les victimes de violence liée au genre qui se trouvent sur leur territoire, et ce indépendamment du lieu de commission de ces violences et sans discrimination aucune, fondée notamment sur le statut migratoire ou le statut de réfugiée. La Convention d’Istanbul s’applique à cet égard sans effet extraterritorial dès lors que les personnes se trouvent sur le territoire de l’État partie. Or, s’agissant des prestations de protection et de soutien explicitement prévues par la Convention d’Istanbul, certaines restrictions imposées par le droit suisse en matière d’infractions ou de violences subies à l’étranger pourraient poser problème au regard de l’interdiction de discrimination posée par l’article 4 par. 3 de cette Convention.
 
Champ d’application personnel et matériel de la Convention : violences à l’égard des « femmes »
 
S’agissant de la question du champ d’application personnel et matériel de la Convention d’Istanbul en lien avec la protection de certains groupes spécifiques de personnes, le CSDH relève que la Convention d’Istanbul distingue entre les violences domestiques d’une part, et les violences à l’égard des femmes d’autre part. Si les dispositions relatives aux premières peuvent également être appliquées aux hommes et aux garçons, pour autant qu’une approche sensible au genre reste préservée, les secondes ne concernent que les femmes.
 
Selon l’analyse du CSDH, la notion de « femmes » inclut les femmes mineures. Par ailleurs, elle inclut toutes les personnes dont le « sexe » légal (inscrit à l’état civil) est femme ou qui s’identifient en tout ou en partie comme femmes, indépendamment de leur « sexe » légal. Elle protège donc par exemple les femmes trans* qui n’ont pas procédé à une modification de leur état civil ou encore les personnes non binaires. En outre, la Convention ne fait pas de distinction en fonction du statut légal d’une personne (statut de séjour, nationalité, etc.). Plus généralement, elle ne fait pas de distinction, pour ce qui est des mesures de soutien et d’assistance aux victimes, sur la base de l’orientation sexuelle ou affective, de l’identité ou expression de genre ou du statut de migrante ou de réfugiée d’une personne.

Accès direct à l'avis de droit (skmr.ch)

Gender Law Newsletter FRI 2022#1, 01.03.2022 - Newsletter abonnieren