Modernisation de la procédure en droit des familles
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Gender Law Newsletter FRI 2025#4, 01.12.2025 - Newsletter abonnieren
SUISSE: RAPPORT DU CONSEIL FÉDÉRAL (CONTRIBUTION INVITÉE)
Contribution invitée d’Anaïs HAUSER (docteure en droit, titulaire du brevet d’avocate et post-doctorante FNS – projet sinergia FamyCH) relative au rapport du Conseil fédéral du 6 juin 2025 «Juridiction et procédure en droit de la famille: état des lieux et propositions de réforme» donnant suite aux postulats 19.3478 Schwander du 9 mai 2019, 19.3503 Müller-Altermatt du 9 mai 2019, 22.3380 CAJ-N du 7 avril 2022, 22.4540 Gysin du 16 décembre 2022 et 23.3047 Feri du 2 mars 2023 (ci-après «rapport du Conseil fédéral»)
Le Conseil fédéral a rendu un rapport en juin 2025 faisant suite à cinq postulats et à teneur duquel il arrive à la conclusion que la procédure en droit des familles doit être simplifiée et modernisée, notamment en raison de l’évolution des structures familiales. Ce rapport, qui se base en partie sur un avis de droit et sur une enquête menée auprès des professionnel·le·s, établit les pierres angulaires d’une future révision, à savoir l’unification des compétences pour statuer sur les questions relatives aux enfants, l’adaptation de la procédure judiciaire, ainsi que l’encouragement et le renforcement de l’interdisciplinarité et des méthodes de résolution amiable des conflits. La présente contribution propose une présentation et un commentaire de certaines des modifications discutées, principalement sous l’angle de l’égalité de traitement entre les enfants, de la responsabilité conjointe des parents après une séparation et de la participation des enfants à la procédure.
I. Les enjeux d’une future réforme
Les constellations et les structures familiales ont grandement évolué, avec pour conséquences de nouvelles réalités sociales et sociétales auxquelles le droit des familles est tenu de répondre. Notamment, le nombre d’enfants de parents non mariés ainsi que le nombre d’enfants de parents séparés, divorcés ou n’ayant jamais vécu ensemble a augmenté de façon significative lors des dernières décennies[1].
Dans ce contexte, une adaptation du droit matériel de la famille a été amorcée avec les révisions du Code civil (CC) de 2014[2] et 2017[3] afin de renforcer la responsabilité parentale conjointe, également après la fin du couple parental. Néanmoins, comme l’a admis le Conseil fédéral, une modernisation du droit matériel n’est pas suffisante car l’égalité de traitement de tous les enfants, indépendamment de l’état civil de leurs parents, est un enjeu crucial qui dépend également du droit procédural.
Le rapport du Conseil fédéral, daté du 6 juin 2025, se base notamment sur une enquête réalisée dans les cantons, auprès de plusieurs tribunaux et de diverses autorités de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA) afin de dresser un état des lieux de l’organisation des autorités, des compétences et des spécificités cantonales de la procédure en droit des familles, ainsi que sur un avis de droit rédigé par les Professeur·e·s Cordula Lötscher (Université de Bâle) et François Bohnet (Université de Neuchâtel)[4]. L’avis de droit formule notamment des propositions concrètes d’adaptation de la législation.
Le Conseil fédéral a été en mesure de déterminer dans ce cadre les éléments centraux de la future réforme, à savoir l’unification des compétences pour statuer sur les questions relatives aux enfants, l’adaptation de la procédure judiciaire ainsi que l’encouragement et le renforcement de l’interdisciplinarité et des méthodes de résolution amiable des conflits.
II. Égalité de traitement entre les enfants, indépendamment de l’état civil de leurs parents
Selon la législation actuelle, lors de la séparation d’un couple parental, les compétences sont réparties entre l’autorité de protection de l’enfant et le ou la juge matrimonial·e. Ainsi, d’importantes différences existent sur le plan procédural en fonction de l’état civil des parents, avec pour conséquence une inégalité de traitement entre les enfants de parents mariés et ceux de parents non mariés, l’autorité compétente mais également la nature de la procédure applicable étant notamment déterminées sur la base de ce critère.
Les auteur·rice·s de l’avis de droit font remarquer que «la répartition des tâches entre l’autorité de protection de l’enfant et le tribunal civil s’est peu à peu clarifiée, mais également complexifiée» au gré des révisions législatives[5], et critiquent, à juste titre selon nous, cette différence majeure de traitement entre les enfants de parents mariés et ceux de parents non mariés, que «rien ne justifie sous l’angle du droit matériel»[6].
Les modifications proposées à cet égard par les Professeur·e·s Lötscher/Bohnet reposent ainsi sur le principe selon lequel la répartition des compétences entre l’autorité de protection de l’enfant et le tribunal ne devraient aucunement dépendre du statut parental[7]: selon la proposition de l’avis de droit, le tribunal civil serait compétent pour trancher les litiges s’agissant des questions relatives au sort de l’enfant, indépendamment de l’état civil des parents, alors que la compétence de l’autorité de protection serait concentrée principalement sur les mesures de protection en dehors de toute procédure d’organisation de la vie séparée ou de divorce.
Comme l'a salué le Conseil fédéral, la restructuration des titres du Code de procédure civile (CPC) proposée par l’avis de droit rendrait clairement reconnaissable sur le plan systématique la création d’une véritable procédure spécifique en droit des familles[8]. La proposition de réforme prévoit dans ce cadre la généralisation de mesures protectrices de la famille, sur le modèle des mesures protectrices de l’union conjugale, qui seraient destinées à régler tant la vie séparée et le sort des enfants issus de parents mariés que le sort des enfants issus de parents non mariés, afin de faire bénéficier les enfants d’une protection juridique équivalente indépendamment de l’état civil de leurs parents[9].
Le Conseil fédéral partage l’avis des auteur·rice·s de l’avis de droit et rejette l’idée d’une juridiction spécialisée en droit des familles, notamment parce qu’une telle réglementation fédérale aurait pour effet d’empiéter sur l’autonomie des cantons en matière d’organisation judiciaire[10]. Le CPC ne prévoyant actuellement aucune disposition à ce sujet, les cantons sont libres de créer ou non un tribunal de la famille[11].
Si la proposition de créer des tribunaux de la famille – ainsi que celle de créer une autorité de conciliation extrajudiciaire intervenant préalablement à la saisine du tribunal (proposition également écartée) – illustre le souhait d’interdisciplinarité institutionnalisée pour les autorités et les tribunaux en charge des litiges relevant du droit des familles, le renforcement de l’interdisciplinarité serait possible selon le Conseil fédéral «sans imposer une composition interdisciplinaire aux organes décisionnels»[12]. Le Conseil fédéral indique être ainsi également d’accord avec les auteur·rice·s de l’avis de droit à ce sujet.
III. Promouvoir la responsabilité parentale conjointe après une séparation ou un divorce
La responsabilité parentale conjointe est en premier lieu une question de droit matériel. Sa promotion était au cœur des révisions du Code civil de 2014 et 2017 qui portaient sur l’autorité parentale et l’entretien de l’enfant. Ces modifications visaient, d’une part, une meilleure égalité de traitement entre les enfants indépendamment de l’état civil de leurs parents, et d’autre part, une répartition plus égalitaire de la responsabilité parentale après une séparation, la priorité étant néanmoins donnée par le législateur à l’égalité entre les enfants[13].
Notamment, l’autorité parentale conjointe a été établie comme principe (art. 296 al. 2, 298 al. 1 et 298b al. 2 CC) et le Code civil prévoit désormais que le ou la juge «examine, selon le bien de l’enfant, la possibilité de la garde alternée, si le père, la mère ou l’enfant la demande» lorsque l’autorité parentale est conjointe (art. 298 al. 2ter CC). A noter néanmoins qu’en matière d’entretien, une complète égalité entre femmes et hommes en cas de divorce a été notamment empêchée par la renonciation à la possibilité de partager le déficit de la famille[14].
Une modernisation de la procédure en droit des familles serait cohérente avec ce processus de modernisation du droit matériel car elle assurerait la mise en œuvre de celui-ci. Le Conseil fédéral souligne à cet égard que «les règles de procédure en droit de la famille et leur amélioration sont donc également d’une importance capitale pour stabiliser, établir et promouvoir la responsabilité parentale conjointe et les relations parents-enfants après une séparation ou un divorce»[15].
Le fait de promouvoir la responsabilité – et ainsi une implication plus paritaire – des deux parents après une séparation ou un divorce est à saluer selon nous. Les procédures en droit des familles ont cela de particulier qu’elles n’ont pas pour objectif de désigner la partie gagnante, respectivement la partie perdante à l’issue du litige, mais de régler les différents éléments de la vie séparée et, en présence d’enfants, d’organiser et de répartir les responsabilités parentales pour l’avenir.
Dans ce cadre, favoriser une résolution commune des conflits constitue l’un des moyens d’assurer une meilleure continuité de la collaboration parentale au-delà de la séparation. A cet égard, le Conseil fédéral estime que «le tribunal doit pouvoir ordonner la participation obligatoire des parents à une méthode de désescalade et de résolution des conflits ou à une tentative de médiation», approuvant ainsi l’inscription de ces méthodes dans le CPC[16].
A noter néanmoins qu’une responsabilité parentale conjointe après une séparation est plus facilement réalisable (et acceptée) lorsque la répartition de cette responsabilité était déjà plus ou moins égalitaire pendant la vie commune des parents. Le modèle semi-traditionnel de répartition des rôles est néanmoins majoritaire en Suisse et engendre de grandes inégalités, notamment après un divorce[17]. Ainsi, une implication paritaire des parents devrait principalement être favorisée par un changement au niveau des politiques sociales (ex.: places de crèches, congé parental), faute de quoi les révisions législatives n’auront qu’un impact modéré.
IV. Participation des enfants à la procédure de séparation de leurs parents
L’inégalité de traitement entre les enfants de parents mariés et ceux de parents non mariés se traduit également au niveau de leur statut procédural. Dans le cadre d’un litige matrimonial, l’enfant n’est en principe pas partie à la procédure mais il ou elle bénéficie d’un statut sui generis et ses intérêts sont défendus par ses représentant·e·s légaux·ales, en général ses parents. Lorsque les parents ne sont pas mariés, en revanche, l’enfant est généralement partie à la procédure (ex.: actions en entretien ou relatives à l’établissement de la filiation). Dans ces hypothèses, le fait que l’un des deux parents n’est pas partie à la procédure alors qu’elle est relative à un enfant commun pose en outre la question du respect du droit d’être entendu de ce parent.
S’agissant de l’action en paternité et de la demande d’aliments, l’art. 304 al. 2 CPC prévoit désormais depuis le 1er janvier 2025 que les deux parents ont toujours la qualité de parties. Cette nouvelle réglementation ne résout néanmoins pas les autres hypothèses et soulève d’autres questions. Ce qui semble en revanche clair, c’est que le législateur rejette l’idée d’une procédure tripartite dans les affaires de droit des familles et favorise l’implication des deux parents[18] plutôt que de faire bénéficier l’enfant de la qualité de partie. A noter que le Conseil fédéral reconnaît que les procédures dans lesquelles des enfants sont impliqué·e·s sont forcément des «procédures qui comptent plusieurs participant·e·s», sans que cela soit synonyme de «procédure formelle à plusieurs parties»[19].
Fidel·èle·s à la volonté du législateur d’éviter les procédures tripartites en droit des familles, les auteur·rice·s sont également d’avis que la protection de l'enfant ne justifie pas de lui accorder le statut de partie à part entière dans les procédures matrimoniales, en raison de la charge psychologique que cela représenterait[20]. L’avis de droit propose en revanche de réglementer plus clairement le statut de l’enfant dans les procédures de droit des familles, en soulignant que le rôle de l’enfant dans les procédures liées à une séparation ne devrait en principe pas varier selon l’état civil de ses parents[21] et que la procédure contradictoire classique, qui suppose une partie demanderesse et une partie défenderesse, n’est pas adaptée aux procédures en droit des familles[22].
Selon nous, la volonté des auteur·rice·s de l’avis de de droit de renforcer le statut de l’enfant est à saluer. A cet égard, l’avis de droit propose un article 271f CPC intitulé «Stellung des Kindes» et dont le libellé serait le suivant : «le droit d'être entendu de l'enfant mineur et son intérêt supérieur (<Kindeswohl>) sont garantis par la représentation légale, l’éventuelle représentation de l'enfant et l'audition de l'enfant». Cet article, qui énumère finalement des moyens juridiques déjà existants dans le CPC (notamment art. 298 et 299 CPC) sans créer de nouvelles directives à l’égard des tribunaux, a néanmoins le mérite de les désigner clairement comme des garanties du statut procédural de l’enfant. Le statut procédural de l’enfant serait ainsi théoriquement clarifié. La question se pose néanmoins de savoir si cette modification impliquerait un réel renforcement des droits procéduraux de l’enfant correspondant aux principes posés par l’art. 12 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant (CDE).
V. Synthèse
Premièrement, le Conseil fédéral approuve la proposition d’uniformisation des compétences s’agissant du sort des enfants, en admettant une compétence des tribunaux civils qui s’étendrait également aux enfants de parents non mariés[23].
La création d’un éventuel tribunal de la famille a été en revanche rapidement écartée par le Conseil fédéral alors que la réflexion autour de la modernisation de la procédure en droit des familles aurait été précisément l’occasion pour le législateur de creuser la question. Selon le Conseil fédéral, renforcer la conscience des tribunaux et des juges concernant l’importance de l’interdisciplinarité à travers le recours à des spécialistes par le biais d’un rappel dans le CPC serait préférable à la création d’une juridiction interdisciplinaire.
Le recours à des compétences de différentes disciplines et spécialisations étant essentiel, particulièrement lorsque les intérêts des enfants sont en jeu, espérons que ce simple ajout dans le CPC sera en mesure de donner un caractère réellement interdisciplinaire à la procédure de droit des familles. La question de la formation des magistrat·e·s ayant à trancher des litiges de droit des familles mériterait par ailleurs également d’être posée.
Deuxièmement, une modernisation des règles procédurales du droit des familles est essentielle afin d’assurer une mise en œuvre cohérente des révisions récentes du droit matériel de la famille et ce, afin de promouvoir une implication parentale post-séparation plus paritaire, bien que la réalisation de cet objectif implique des modifications plus drastiques, particulièrement au niveau des politiques familiales. Par ailleurs, la répartition égalitaire des responsabilités parentales présente des enjeux économiques cruciaux, principalement pour les mères dont la situation financière est nettement plus impactée que les pères par une séparation[24].
Enfin, la modernisation de la procédure suivra vraisemblablement la volonté du législateur d’une implication systématique des deux parents dans les procédures relatives à leur(s) enfant(s) commun·e(s). En revanche, la possibilité de faire bénéficier l’enfant de la qualité de partie notamment dans les procédures matrimoniales est rejetée en l’état, le statut procédural de l’enfant étant néanmoins censé être renforcé dans le cadre de la révision, du moins théoriquement.
[2] Loi fédérale du 20 mars 2015 portant modification du Code civil suisse (Entretien de l’enfant), RO 2015 4299 (FF 2014 511).
[17] Ces inégalités semblent être renforcées par une interprétation formelle-égalitaire du droit: Aeby, G., Cottier, M., Widmer, E. D., & Sahdeva, B. (2024). Gender (in)equality in divorce in Switzerland: Lawyers’ formal-egalitarian vs. compensatory interpretations. Journal of Social Welfare and Family Law, 46(4), 513–533.
Accès direct au rapport du Conseil fédéral du 6 juin 2025 (https://cms.news.admin.ch)
Accès direct au communiqué de presse du Conseil fédéral du 6 juin 2025 présentant son rapport (https://www.news.admin.ch)
Accès direct à l’avis de droit du 22 janvier 2025 «Ein zeitgemässes Familienverfahren für die Schweiz. Rechtsgutachten und Reformvorschläge» auquel se réfère le rapport du Conseil fédéral, rédigé par les Prof. Dr. iur. Cordula Lötscher et François Bohnet (https://cms.news.admin.ch)