Egalité de genre et transformation numérique: Les réseaux entre l’économie de plateformes, les droits fondamentaux et les enjeux démocratiques!

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Gender Law Newsletter FRI 2025#2, 01.06.2025 - Newsletter abonnieren

SUISSE: POSTULAT ET INTERPELLATION AU NIVEAU FÉDÉRAL

Contribution invitée de la Professeure Maya Dougoud sur le postulat??25.3237 de Brenda Tuosto du 20 mars 2025 «Démasculiniser les algorithmes: Urgence démocratique et féministe» et l’interpellation 25.3066 de Sibel Arslan du 6 mars 2025 «Discrimination algorithmique fondée sur le genre et protection contre la discrimination algorithmique dans le secteur privé», déposés au Conseil national

Deux propositions déposées au Parlement suisse demandent une régulation des plateformes numériques. La première vise à protéger les droits fondamentaux et à encadrer les algorithmes pour garantir un débat public sain. La seconde alerte sur les biais sexistes des technologies numériques et appelle à intégrer l’égalité de genre dans leur conception et leur régulation. Des organisations comme AlgorithmWatch CH et Reporters sans frontières (RSF) Suisse soutiennent cette démarche. Elles soulignent l’urgence d’une action politique forte pour garantir la transparence, l’inclusion et la responsabilité des plateformes. Une nécessité également étudiée depuis quatre ans au sein du projet Egalité de genre et transformation numérique (EGTN). Un cadre également partagé dans les conclusions agréées de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, 67e session, 2023 (CSW67), qui portaient précisément sur l’innovation, le changement technologique et l’éducation à l’ère numérique pour parvenir à l’égalité des sexes. La Suisse doit maintenant passer des constats aux actes pour que le numérique serve la démocratie et l’égalité.

Alors que les plateformes numériques concentrent un pouvoir croissant sur l’opinion publique et l’accès à l’information, deux interventions parlementaires récemment déposées au Parlement fédéral pourraient marquer un tournant décisif en Suisse. La première appelle à la régulation des plateformes de communication en ligne afin de garantir les droits fondamentaux, prévenir la manipulation algorithmique et renforcer la qualité du débat démocratique. La seconde, quant à elle, attire l’attention sur l’urgence de démasculiniser les algorithmes et de lutter contre les biais sexistes qui s’y reproduisent, renforçant ainsi les inégalités numériques de genre.
 
Ces interventions parlementaires ne surgissent pas dans le vide. Plusieurs acteurs de la société civile et du monde académique alertent depuis des années sur les dérives liées à l’absence de régulation. AlgorithmWatch CH, dans une lettre ouverte au Conseil fédéral, appelle à une feuille de route claire et ambitieuse pour encadrer les plateformes. Elle souligne la nécessité de garantir la transparence des algorithmes, d’ouvrir l’accès aux données pour la recherche et de mettre en place des mécanismes de responsabilité. L’organisation rappelle que la concentration du pouvoir numérique entre les mains de quelques grandes entreprises menace l’équilibre démocratique.
 
Plusieurs organisations non gouvernementales, personnes académiques ou politiques co-signataires partagent cette préoccupation. Ensemble, ils et elles insistent sur l’urgence d’un cadre juridique qui protège les droits fondamentaux, assure un contrôle démocratique sur les systèmes de communication en ligne et combat les phénomènes de haine, de désinformation et de discrimination qui y prospèrent.
 
La recherche des hautes écoles vient renforcer ce constat. Le livre blanc du projet «Egalité de genre et transformation numérique» (EGTN) publié par l’Université de Lausanne démontre que les technologies numériques, loin d’être neutres, reproduisent des hiérarchies de genre et contribuent à invisibiliser certaines populations. Ce document recommande des actions concrètes: repenser la conception des algorithmes, promouvoir la diversité dans les équipes technologiques et intégrer l’égalité dans toutes les politiques numériques. Il s’agit de redonner une place équitable aux femmes et aux minorités dans l’écosystème numérique.
 
À cette voix s’ajoute celle de Reporters sans frontières (RSF) Suisse, qui dénonce le report répété par le Conseil fédéral d’un avant-projet de régulation. Pour RSF, le vide juridique actuel permet aux grandes plateformes de se soustraire à leurs responsabilités, contrairement aux médias traditionnels tenus à des normes déontologiques strictes. L’organisation plaide pour une régulation contraignante qui protège le journalisme et la liberté d’expression, tout en assurant la transparence et la responsabilité des plateformes face à leur rôle central dans le débat public.
 
Cette mobilisation nationale s’inscrit également dans un contexte international. Lors de la 67e session de la Commission de la condition de la femme (CSW67), les États membres de l’ONU ont adopté des conclusions ambitieuses pour garantir l’égalité de genre dans l’ère numérique. Ces conclusions appellent notamment à prévenir et éliminer les stéréotypes et la violence fondée sur le genre dans les environnements numériques, à combler la fracture numérique entre les sexes, à promouvoir la participation pleine, égale et significative des femmes et des filles dans les domaines scientifiques et technologiques, et à garantir que les algorithmes et les données ne perpétuent pas les inégalités existantes. Elles soulignent aussi l’importance de la réglementation des plateformes et des systèmes numériques pour assurer une gouvernance inclusive et fondée sur les droits humains.
 
Ces multiples interventions convergent: sans une intervention politique forte, la Suisse prend le risque de devenir un espace où les règles du numérique sont dictées par des acteurs privés, souvent étrangers, sans égard pour les principes démocratiques ni pour l’égalité des chances. Réguler les plateformes, c’est protéger les droits, garantir l’accès à une information fiable et lutter contre les discriminations systémiques renforcées par les algorithmes.
 
En résumé, la Suisse est à la croisée des chemins. Il ne s’agit plus de savoir s’il faut réguler les plateformes numériques, mais comment le faire de manière cohérente, équitable et démocratique. Les éléments sont sur la table. Il appartient désormais aux autorités de les transformer en actions concrètes, en cohérence avec les engagements internationaux pris notamment lors de la CSW67.

Accès direct au postulat (https://www.parlament.ch)
Accès direct à l'interpellation (https://www.parlament.ch)