Newsletter FRI 2025#3 - Editorial
Bienvenue dans notre newsletter!
A l’occasion de ses 20 ans, le FRI a fondé en 2015 une Gender Law Newsletter trimestrielle. Elle a été envoyée pour la première fois le 1er septembre 2015. Elle a donc 10 ans aujourd’hui!
Depuis sa naissance, notre newsletter a assisté à des renforcements de la protection de l’égalité des genres dans la législation et la jurisprudence.
En effet, dans la législation suisse, une modification adoptée en 2016 a élargi les possibilités d’adoption (newsletters 2016#3 et 2017#3). En 2018, la Suisse a ratifié la Convention du Conseil de l'Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En outre, l’infraction de discrimination et d’incitation à la haine en raison de l'orientation sexuelle a été introduite dans le Code pénal (newsletters 2018#4 et 2019#1). En 2020, l’obligation d’octroyer un congé pour l'autre parent que la mère qui a accouché (limité à deux semaines et sans protection contre le licenciement des pères faisant valoir leur droit; cf. newsletter 2021#3) a été approuvée par referendum (newsletters 2019#2 et 2021#1). Une loi permettant de changer de sexe par déclaration sans devoir procéder à des examens médicaux préalables a en outre été adoptée (newsletters 2018#3, 2020#1 et 2021#4). En 2024, une modification législative a été votée notamment afin de réduire la difficulté d'obtenir une autorisation de séjour pour les victimes de violences domestiques dont l'autorisation de séjour dépend de leur conjoint (newsletters 2024#1 et 2024#3). Et en 2025, l’infraction de viol a été élargie aux actes sexuels ou analogues impliquant toute forme de pénétration corporelle non consentie. En outre, une infraction d’atteinte sexuelle couvrant les actes sexuels non consentis sans exercer de contrainte a été créée (newsletter 2024#3). Enfin, une modification du Code pénal punissant le stalking a été adoptée par le Parlement.
Dans la jurisprudence, en 2018, la libre circulation des couples mariés de même sexe dans l’Union européenne, en ce compris dans les Etat membres dont la législation ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe, a été reconnue par la Cour de justice de l’Union européenne (newsletter 2018#4). La même année, la Cour constitutionnelle autrichienne a estimé que le concept de «sexe» dans le Code civil ne se limitait pas aux sexes féminin et masculin (newsletter 2018#4) et en 2019, la Cour constitutionnelle belge a constaté une discrimination résultant de l'impossibilité, pour les personnes ayant une identité de genre binaire ou fluide, de pouvoir disposer d'un acte de naissance compatible avec cette identité (newsletter 2019#3). En 2021, le Tribunal fédéral suisse a estimé que les services sexuels convenus entre adultes et fournis de manière autonome constituent un bien patrimonial. Cela a offert aux prestataires une protection pénale contre les fraudes des bénéficiaires de ces services (newsletter 2021#1). Dans un autre domaine, cette juridiction a jugé qu'un enfant issu d'un projet parental commun qui a grandi avec ses deux parents d'intention liés par un partenariat enregistré a intérêt au maintien de ses relations avec le parent non biologique après la dissolution de ce partenariat (newsletter 2021#3). En 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’être une femme peut constituer un motif de persécution pertinent justifiant la qualité de réfugiée (newsletter 2024#2, newsletters 2024#3 et 2024#4). Elle a en outre estimé que les femmes afghanes demandant une protection internationale au sein de l’Union européenne ne doivent plus prouver un risque de persécutions effectives et spécifiques en Afghanistan parce qu'elles ne peuvent plus y vivre dans la dignité humaine (newsletter 2024#4).
Ces évolutions sont bienvenues mais elles ne suffisent pas pour une égalité des genres. Ces dix années écoulées, la science juridique a continué à montrer les faiblesses existantes et à proposer des solutions. Ainsi par exemple, en 2017, les stéréotypes de genre contenus dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux droits reproductifs ont été traqués (newsletter 2017#1). En 2022, afin notamment de réduire les stéréotypes dans l’application de la loi fédérale suisse du 24 mars 1995 sur l’égalité entre femmes et hommes (loi sur l'égalité), une évolution prenant en compte les discriminations intersectionnelles et la non-binarité des sexes a été notamment proposée (newsletter 2022#2). Des autrices ont en outre identifié des stéréotypes patriarcaux dans le dispositif législatif suisse protégeant contre les discriminations dans le travail et ont jugé que ce dispositif était inefficace (newsletter 2024#3). La même année, une thèse de doctorat a proposé d’interpréter l’interdiction de discriminer prévue par l’article 8 al. 2 et 3 de la Constitution fédérale suisse comme une interdiction de hiérarchisation entre des catégories de personnes et donc, en ce qui concerne la discrimination selon le sexe, comme une interdiction de commettre des discriminations (hétéro)sexistes (newsletter 2025#1). Une autre thèse de doctorat a pointé l'absence de protection des personnes effectuant gratuitement du travail de soins (care) pour leurs proches en-dehors du mariage. Elle a proposé d'assurer cette protection grâce à une communauté de responsabilités fondée sur le Code civil suisse (newsletter 2024#4). Et en Allemagne, une contribution de la même année a montré que les féminicides sont punis dans une partie de la jurisprudence sans remettre en question des conceptions patriarcales de la relation axées sur la possession et le contrôle (newsletter 2024#2).
Notre newsletter a assisté aussi à des blocages et à des régressions. Rien qu'en Suisse, les exemples sont nombreux.
Ainsi notamment, les exigences du Tribunal fédéral pour reconnaître des discriminations salariales sont si sévères que cette reconnaissance est souvent refusée (cf. les aperçus annuels de sa jurisprudence relative à la loi sur l'égalité dans les newsletters 2021#1, 2022#1, 2023#1, 2024#1 et 2025#1).
Des droits des femmes se voient en outre réduits au nom de l'égalité formelle alors qu'une égalité des genres matérielle est encore loin d'être atteinte.
Obtenir une contribution d’entretien après divorce en Suisse est ainsi plus difficile en raison de la jurisprudence récente (newsletters 2021#2, 2022#2 et 2022#3).
En outre, en raison d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 10 octobre 2022 qui a constaté une discrimination en droit suisse – parce que la rente d'un veuf s'éteint lorsque ses enfants ont 18 ans, tandis que la rente d'une veuve se poursuit dans le même cas (cf. newsletter 2022#4; pour une critique, cf. newsletter 2020#1) –, un projet de loi fédérale du 23 octobre 2024 destiné à mettre en œuvre cet arrêt réduit les droits des femmes. Il prévoit en effet que la rente des veufs et des veuves s'éteindra si ces personnes n'ont plus d'enfant de moins de 25 ans, ce qui implique une dégradation de la rente de veuve au profit de la rente de veuf (newsletters 2024#2 et 2025#1).
En matière de rentes d'invalidité, en outre, un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 février 2016 a identifié une discrimination en Suisse dans le calcul de la rente d'invalidité en cas de passage d'un travail à temps plein à un travail à temps partiel uniquement en vue de s'occuper d'un enfant (newsletter 2016#1). Le Tribunal fédéral a donc constaté qu'un tel cas ne pouvait pas conduire à une suppression de la rente d'invalidité (ATF 143 I 50 consid. 4.1). Mais depuis l'entrée en vigueur en 2018 d'une adaptation de la réglementation suisse, le Tribunal fédéral considère que même dans ce cas, une révision de cette rente est à nouveau possible (ATF 147 V 124 consid. 7). Un arrêt de 2025 n'apporte qu'une nuance à cette position. Or, la réduction du taux d'invalidité pour la partie du temps consacré aux enfants dévalorise ce travail non rémunéré (cf. la présente newsletter).
De plus, la réponse que propose la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national à des initiatives pour un congé parental est de partager entre les parents le temps de congé total actuellement prévu pour la mère qui a accouché (14 semaines) et l'autre parent (14 jours) et ce, pour des motifs de flexibilité. Cela implique une réduction potentielle du temps de congé de la mère qui a accouché au lieu d'améliorer le congé dont elle dispose actuellement.
Et finalement, malgré l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme obtenu en 2024 par les Aînées du climat constatant l'insuffisance des mesures de la Suisse contre le réchauffement climatique (newsletter 2024#2), aucune nouvelle mesure spécifique n’a été prise par la Suisse pour exécuter cet arrêt, et ce, à la demande expresse des deux chambres fédérales. Elles se sont même permises de formuler des recommandations à la Cour européenne des droits de l'homme sur sa jurisprudence future (newsletter 2024#4) alors pourtant que le respect de l'indépendance des juges interdit aux autres pouvoirs de les influencer. Ce comportement a un impact négatif non seulement sur le climat mais aussi sur l'autorité générale des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, et donc potentiellement sur tous les droits humains. Déjà en 2025, d'autres Etats ont demandé à la Cour d'adapter sa jurisprudence, cette fois en ce qui concerne la migration (pour une critique, voy. https://www.leclubdesjuristes.com). Ils se sont vu rappeler à l'ordre par le Secrétaire général du Conseil de l'Europe.
Un vent hostile aux droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre souffle dans le monde. Des idéologies masculinistes misogynes montent en puissance. Elles nient notamment l'existence du patriarcat, attaquent le féminisme et comprennent des mouvements Incels (célibataires involontaires) incitant à la haine et à la violence envers les femmes (newsletters 2024#4, 2025#2 et la présente newsletter; voy. encore un panel du 2 septembre 2025 à Berne, une conférence du 22 novembre 2025 à Essen et Christine Bard, Le masculinisme en Europe). En outre, le "wokisme" est attaqué par certains mouvements politiques (voy. à ce sujet Le Monde, 23 septembre 2021) et par certains médias (pour un exemple, voy. NZZ, 11 décembre 2024) alors qu'être woke consiste juste à être conscient des injustices et des discriminations subies par les minorités notamment sexuelles, ethniques et religieuses. En outre, pour se conformer aux directives issues de la nouvelle administration américaine, des entreprises suisses prominentes ont renoncé à des programmes de promotion de la diversité et même effacé des traces de leurs actions précédentes pour la diversité (voy. p. ex. Econostrum, 23 mars 2025). Les adversaires de l'égalité et de la diversité ont le vent en poupe.
Or, nous ne pouvons pas accepter que l'importance de l'égalité et la diversité des genres soit niée. Ces dix dernières années, la Cour européenne des droits de l'homme a constaté de nombreuses atteintes particulièrement graves à ces valeurs consacrées par de nombreux droits humains en Europe.
Ainsi par exemple, des enquêtes et des mesures de protection insuffisantes lors de violences domestiques (newsletters 2021#3, 2022#2 et 2025#2) et lors de menaces de féminicide (newsletters 2022#4) ont été qualifiées tantôt de violations du droit à la vie (art. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; CEDH), tantôt d'atteintes discriminatoires à ce droit humain (art. 14 CEDH).
Des investigations bâclées sur des viols, accompagnées d'actes de victimisation secondaire tels que le victim blaming, ont violé l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH; cf. p. ex. la présente newsletter).
Des enquêtes insuffisantes sur des plaintes pour prostitution forcée (newsletter 2020#3) ou pour exploitation du travail (newsletter 2025#2) ont violé l'art. 4 CEDH qui interdit notamment le travail forcé.
Des violations du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) et des atteintes discriminatoires à ce droit (art. 14 CEDH) ont été constatées notamment lorsqu'aucune poursuite pénale n'a été engagée dans des cas d'actes de cybermobbing incitant à la haine contre des personnes homosexuelles (newsletters 2020#1 et 2025#2) ou dirigés contre une ex-partenaire (newsletter 2020#1) ainsi que dans des cas de menaces de mort (newsletter 2025#1) et d'attaques médiatiques contre des personnes qui défendaient les droits des personnes LGBTIQA+ (newsletters 2025#1 et 2025#2).
Des atteintes discriminatoires au droit au respect de la vie familiale (art. 14 CEDH combiné à l'art. 8 CEDH) ont aussi été reconnues, notamment lorsqu'une femme s'est vu retirer la garde de son plus jeune enfant en raison du fait qu'elle avait une relation avec une autre femme (newsletter 2021#4).
Tant la condamnation pénale d'une femme pour diffamation publique parce qu'elle s'était plainte par e-mail de harcèlement sexuel (newsletter 2024#2) que le blocage de sites Internet d'information queer (newsletter 2025#2), ont en outre violé le droit à la liberté d'expression des personnes concernées (art. 10 CEDH).
Des refus d'enregistrement d'organisations LGBT comme personnes juridiques ont quant à eux violé la liberté d'association (art. 11 CEDH; newsletter 2020#1).
Des discriminations de femmes fondées sur le sexe commises par les personnes qui les employaient (newsletters 2017#4, 2018#3 et 2022#4), en ce compris des cas de harcèlement sexuel (p. ex. newsletters 2019#4, 2021#1, 2023#3 et 2024#1) et un cas de licenciement par vengeance suite à un recours pour discrimination (newsletter 2018#4), ont en outre été constatés par des juridictions suisses ou européennes.
Le combat pour l'égalité et la diversité peut-il être mené quel que soit notre activité? Oui, car nous pouvons être attentives aux discriminations dans notre quotidien. Et si nous sommes juristes, pouvons-nous y jouer un rôle quel que soit notre domaine de prédilection? Oui, car des questions liées au genre se posent dans de nombreux domaines du droit dans la jurisprudence, par exemple en droit des personnes (cf. p. ex. newsletter 2019#3) et des familles (cf. p. ex. newsletter 2024#3) en droit international privé (cf. p. ex. newsletter 2017#1), de la responsabilité civile (cf. p. ex. newsletter 2017#3), des sociétés (cf. p. ex. newsletter 2022#4) et du travail (cf. p. ex. newsletter 2019#4), en droit pénal (cf. p.ex. newsletter 2022#1), dans le droit relatif à l’aide aux victimes (cf. p. ex. newsletter 2024#3), en droit fiscal (cf. p. ex. newsletter 2015#2), de la sécurité sociale (cf. p. ex. newsletter 2016#2), des étrangers (cf. p. ex. newsletter 2020#2), de l’environnement (cf. newsletter 2024#2), de l'éducation (p. ex. newsletter 2018#1), des marchés publics (cf. p. ex. newsletter 2025#2) et des médias (cf. p. ex. la présente newsletter) ainsi que dans le droit relatif à la protection des données à caractère personnel (cf. p. ex. newsletter 2025#1).
Alors poursuivons ensemble la route pour davantage d'égalité et de diversité!
Pour la rédaction: Alexandre Fraikin (rédacteur responsable), Sandra Hotz, Manuela Hugentobler, Nils Kapferer et Rosemarie Weibel