Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et interdiction des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle

EUROPE: GENDER EQUALITY

Cour de justice de l'Union européenne (grand chambre) 23 avril 2020, NH/Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI - Rete Lenford (C-507/18)

La CJUE a été saisie d’un renvoi préjudiciel de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) au sujet de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité? de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

La Cour de cassation italienne pose les questions suivantes à la CJUE :

  1. L’article 9 de la directive [2000/78] doit-il être interprété en ce sens qu’une association composée d’avocats spécialisés dans la défense en justice d’une catégorie de personnes ayant une orientation sexuelle différente et qui a pour objectif, aux termes de ses statuts, de promouvoir la culture et le respect des droits de cette catégorie, est automatiquement porteuse d’un intérêt collectif et constitue une association de tendance ou de conviction sans but lucratif, ayant qualité? pour agir en justice, y compris en réparation, lorsque se produisent des faits jugés discriminatoires contre cette catégorie de personnes?
  2. Les articles 2 et 3 de la directive [2000/78] doivent-ils être interprétés en ce sens que le champ d’application du régime de lutte contre la discrimination que prévoit cette directive couvre l’expression d’une opinion contraire a? la catégorie des personnes homosexuelles faite lors d’un entretien dans le cadre d’une émission radiophonique de divertissement, dans laquelle la personne interrogée a déclaré? que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet [d’avocats], alors même qu’aucune procédure de recrutement n’aurait été? en cours ni n’aurait été? programmée par cette personne?

Cette demande fait suite au litige opposant NH à l’Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI – Rete Lenford au sujet des déclarations de NH, effectuées au cours d’une émission radiophonique, selon lesquelles il ne souhaiterait pas collaborer, au sein de son cabinet d’avocats, avec des personnes homosexuelles.
S’opposent ici les articles 11 (liberté d’expression et d’information) et 15 (liberté professionnelle et droit de travailler) à l’art. 21 (non-discrimination) de la Charte des droits fondamentaux. Par ailleurs, la directive 2000/78 prévoit notamment que l’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité? des chances pour tous (art. 9). Les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle y sont expressément interdites au sein de l’Union européenne (art. 11 et 12). Or, la directive, trouve application, tant pour les discriminations directes qu’indirectes (art. 2), pour toutes les personnes aussi bien du secteur privé que public (art. 3).
La Cour commence par répondre à la première question, soit celle portant sur l’interprétation de la notion de «conditions d’accès a? l’emploi [...] ou au travail» (art. 3 §1 lit. a) de la directive). Elle rappelle ainsi qu’elle a considéré que sont de nature a? relever de cette notion des déclarations publiques portant sur une politique d’embauche déterminée (consid. 40). Par ailleurs, elle relève que la circonstance qu’aucune négociation en vue d’un recrutement n’était en cours lorsque les déclarations concernées ont été effectuées n’exclut pas davantage la possibilité? que de telles déclarations entrent dans le champ d’application matériel de la directive 2000/78 (consid. 42). En revanche, la Cour relève qu’il est toutefois nécessaire, afin que de telles déclarations relèvent du champ d’application matériel de celle-ci, qu’elles puissent être effectivement rattachées a? la politique de recrutement d’un employeur donne?, ce qui impose que le lien qu’elles présentent avec les conditions d’accès a? l’emploi ou au travail auprès de cet employeur ne soit pas hypothétique (consid. 43). La Cour passe ensuite en revue une série de critères à prendre en considération pour analyser ce lien : le statut de l’auteur des déclarations considérées, la qualité dans laquelle il s’est exprimé et sa capacité à pouvoir avoir un impact dans une procédure de recrutement, la nature et le contenu des déclarations concernées ainsi que le contexte dans lequel les déclarations en cause ont été effectuées (consid. 44 à 46). Finalement, la Cour procède à une analyse de la liberté d’expression en lien avec la directive 2000/78 (consid. 47 à 53) et conclut à ce que l’expression d’opinions discriminatoires en matière d’emploi et de travail, par un employeur ou une personne perçue comme capable d’exercer une influence déterminante sur la politique d’embauche d’une entreprise, est de nature a? dissuader les personnes visées de postuler (consid. 55).
Quant à la première question, selon la Cour, l’art. 9 de la directive n’octroie pas la qualité pour agir à une association telle que celle en cause. Toutefois, la Cour précise que la directive 2000/78 ne s’oppose nullement a? ce qu’un État membre prévoie une telle qualité pour agir à une association et, le cas échéant, en prévoie les conditions (consid. 63 et 64).

Accès direct à l'arrêt (curia.europa.eu)