Violences conjugales et annulation de la naturalisation facilitée

SUISSE: ANNULATION DE LA NATURALISATION FACILITÉE

Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 8 juillet 2019 (F-6242/2017)

Commentaire par Roxane SHEYBANI (avocate en l'étude Msslaw à Genève)

Le 8 juillet 2019, le Tribunal administratif fédéral a confirmé l’annulation de la naturalisation facilitée d’une femme présumée avoir menti lors de la déclaration de vie commune et effective, d’une part parce que moins de deux ans s’étaitent écoulés entre la déclaration et la séparation du couple et d’autre part parce que, victime de violences conjugales, l’épouse ne pouvait sans mentir prétendre croire à son mariage.

La règle des deux ans provient de la présomption jurisprudentielle sur laquelle le Tribunal fédéral admet que l’autorité puisse s’appuyer vu la difficulté à : « […] rechercher si le conjoint naturalisé a menti lorsqu’il a déclaré former une union stable avec son époux suisse […] » (arrêt du TAF F-6242/2017 du 8 juillet 2019, consid. 5.2 et références citées). Cette présomption jurisprudentielle considère que: « […] l’enchaînement rapide des événements fonde la présomption de fait que la naturalisation a été obtenue frauduleusement […] » (ibidem). « La question de savoir à partir de quel laps de temps cette présomption n’a plus cours n’a pas été tranchée de manière précise par le Tribunal fédéral, qui procède à chaque reprise à une analyse spécifique du cas d’espèce » (ibidem). La seule limite est une limite supérieure voulant qu’en deçà de deux ans, l’enchaînement des évènements ne peut plus être considéré comme rapide (ibidem).
La sévérité particulière dans l’application de cette présomption au cas d’espèce (où vingt-deux mois et neuf jours séparent la déclaration de vie commune de la séparation) ne devrait pas occulter la compatibilité questionnable de cette présomption avec la présomption d’innocence notamment, laquelle s’impose aux organes de l’État dans tous les domaines du droit (TAF F-3709/2017 du 14.1.2019, consid. 7.4.), y compris aux autorités administratives (voir notamment ATF 124 I 327, consid. 3.b).
En outre, inférer des violences conjugales subies par l’épouse durant sa relation conjugale qu’elle ne pouvait avoir de volonté matrimoniale fait fi de l’état psychologique de la victime de violences conjugales explicité par la littérature scientifique topique. L’ouvrage de référence de la psychiatre L.E. Walker publié en 1979, The Battered Woman, relate déjà la foi de la victime en sa relation, nourrie par les excuses et les remords de l’auteur, ainsi que l’emprise dans laquelle elle se trouve. Le syndrome de la femme battue (battered woman) fait, depuis, l’objet d’une littérature scientifique dense et, à notre connaissance, incontestée. La justice, notamment canadienne, n’est pas sans l’ignorer puisque la Cour suprême du Canada le prend en considération depuis près de trente ans.
Examinée en tenant compte de la littérature scientifique idoine ou, à tout le moins, en procédant à une expertise de l’épouse, cette cause aurait donné lieu à un résultat diamétralement opposé à l’arrêt ici critiqué. En effet, la foi de la victime et l’emprise dans laquelle elle se trouve corroborent bien plus qu’elles n’excluent la volonté matrimoniale de la victime tant qu’elle est en prise au cycle de la violence. Il apparaît ainsi que ni le Secrétariat d’État aux migrations ni le Tribunal administratif fédéral n’ont fondé leur raisonnement sur les connaissances scientifiques topiques, leur préférant une appréciation de la volonté de la victime de violences fondée sur des présupposés subjectifs.

Accès direct à l'arrêt (bvger.ch)