Preuve de l'apparence d'une discrimination indirecte

UE : DISCRIMINATIONS INDIRECTES EN DROIT DU TRAVAIL

Cour de justice de l’Union européenne, arrêt du 3 octobre 2019 (C-274/18, Minoo Schuch-Ghannadan / Medizinische Universität Wien)

Pour que l’apparence d’une discrimination indirecte résultant d’une réglementation soit établie, la Cour n’exige pas que la partie s’estimant lésée fournisse des statistiques ou des faits précis ciblant les travailleurs concernés si cette partie n’a pas ou n’a que difficilement accès à ces données.

Dans son arrêt, la Cour s’est prononcée sur un renvoi préjudiciel portant notamment sur l’interprétation de la Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (ci-après « Directive 2006/54/CE »). Pour plusieurs catégories du personnel universitaire, la loi autrichienne prévoit en effet une durée maximale des relations de travail à durée déterminée qui est plus longue pour les membres du personnel à temps partiel que pour les membres du personnel à temps plein (ce qui devrait avoir pour conséquence que les membres du personnel à temps partiel ont accès moins rapidement à un contrat de travail à durée indéterminée).  Une chercheuse d’une université autrichienne (ci-après « requérante ») s’est plainte notamment d’une discrimination indirecte en raison de cette disposition. Or, l’article 14, §1er, c), de la Directive 2006/54/CE prohibe toute discrimination directe ou indirecte dans les conditions d’emploi et de travail tant dans les secteurs publics que privés. La notion de « discrimination indirecte » est définie à l’article 2, § 1, b), de cette directive. La Cour précise dans son arrêt que cette disposition s’oppose à une réglementation nationale telle que dans l’affaire en cause s’il est établi qu’elle affecte négativement un pourcentage significativement plus élevé de travailleuses que de travailleurs et si elle n’est pas objectivement justifiée par un but légitime ou si les moyens pour parvenir à ce but ne sont pas appropriés et nécessaires (consid. 42). L’article 19, §1er, de la Directive 2006/54/CE prévoit que si une personne s’estimant lésée établit des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, c’est à la partie défenderesse de prouver l’absence d’une telle discrimination. La Cour rappelle dans son arrêt que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens de preuve, y compris des données statistiques (consid. 46). Selon la Cour, la meilleure méthode consiste à comparer les proportions respectives des travailleuses qui sont et qui ne sont pas affectées par la règle en cause et les mêmes proportions parmi les travailleurs (consid. 47). Enfin, il convient de vérifier si les données apparaissent significatives et ne résultent pas de phénomènes « purement fortuits ou conjoncturels » (consid. 48). En l’occurrence, la requérante avait pu établir que dans le marché du travail autrichien en général, un nombre considérablement plus important de femmes que d’hommes était employé à temps partiel. Elle ne disposait cependant pas de données relatives au personnel des universités autrichiennes. Afin de donner un effet utile à l’article 19, §1er, de la Directive 2006/54/CE, la Cour a précisé que la partie qui s’estime lésée par une discrimination indirecte n’est pas tenue de produire des statistiques ou des faits précis ciblant les travailleuses et travailleurs concernés par la réglementation nationale en cause si elle n’a pas ou difficilement accès à ces statistiques ou faits ; elle peut donc étayer une apparence de discrimination indirecte par des données statistiques générales concernant le marché du travail de l’Etat membre concerné (consid. 56-57). 
Accès direct à l'arrêt (curia.europa.eu)