La notion de traite des êtres humain (et donc l'obligation de protéger la victime) s'applique tant à la traite transnationale que nationale. La prostitution constitue une violation de l'art. 4 CEDH quand elle est forcée.

EUROPE: TRAITE DES ÊTRES HUMAINS ET/OU EXPLOITATION DE LA PROSTITUTION

Cour européenne des droits de l'homme (GC), ârret du 25 juin 2020, S.M. c. Croatie (Requête no 60561/14)

Notion de «traite des êtres humains» s’appliquant à la fois à la traite tant nationale que transnationale, qu’elle soit ou non liée à la criminalité organisée • Notion de «travail forcé ou obligatoire» protégeant contre la prostitution forcée, qu’elle s’inscrive ou non dans le contexte de la traite d’êtres humains • Existence de «traite des êtres humains» et/ou de prostitution forcée constituant une question factuelle à examiner à la lumière de toutes les circonstances pertinentes.
La requérante s’est adressée à la Cour européene des droit de l'homme (ci-après « la Cour ») en soutenant en particulier que les autorités internes n’avaient pas appliqué de manière effective les mécanismes de droit pénal pertinents en réponse à ses allégations de traite des êtres humains et/ou d’exploitation de la prostitution, en violation des articles 3, 4 et 8 CEDH.
La requérante avait porté plainte contre T.M. qui avait exercé sur elle des contraintes physiques et psychologiques pour qu’elle se prostituât. La plainte avait été acceptée et la victime avait pu bénéficier d'un soutien (on lui avait officiellement reconnu le statut de victime de la traite des êtres humains). Mais selon le tribunal pénal, bien qu’il eût été établi que T.M. avait organisé un réseau de prostitution dans lequel il avait entraîné la requérante, il n’avait pas été démontré qu’il avait forcé la requérante à se prostituer ni qu’il avait exercé des pressions sur elle pour qu’elle le fît. Il a donc été acquitté.
Dans sa décision, la Cour examine tout d’abord le droit et la pratique internationaux en matière de traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, soit notamment les conventions de l’ONU et de l’OIT ainsi que des instruments régionaux. Elle cite aussi les interventions de quatre tiers intervenants, entre outre L'altro diritto, Centro di documentazione su carcere, devianza e marginalità. En ce qui concerne le champ d’application de la Convention (point 296), « la Cour estime que, vue sous l’angle de l’article 4 de la Convention, la notion de traite des êtres humains couvre la traite d’êtres humains, qu’elle soit nationale ou transnationale et qu’elle soit ou non liée à la criminalité organisée, dès lors que les éléments entrant dans la définition internationale de ce phénomène telle qu’énoncée dans la convention anti-traite et le Protocole de Palerme sont présents. » En ce qui concerne la prostitution, « la notion de travail forcé ou obligatoire, au sens de l’article 4 de la Convention, vise à assurer une protection contre des cas d’exploitation grave, comme les cas de prostitution forcée, indépendamment de la question de savoir si, dans les circonstances particulières de la cause, ils se produisent ou non dans le contexte spécifique de la traite des êtres humains. » (point 301 ss.). Quant à l’obligation d’enquêter qui en découle, « la Cour estime que la requérante a présenté un grief défendable de traitement contraire à l'article 4 de la Convention - traite des êtres humains et/ou prostitution forcée - et qu'il existait un commencement de preuve tendant à indiquer qu'elle aurait été soumise à pareil traitement, ce qui faisait peser sur les autorités internes l'obligation procédurale découlant de cette disposition ». Vu les multiples lacunes dans la conduite de l’affaire par les autorités de poursuite, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l’article 4 CEDH de la Convention en son volet procédural.

Accès direct à l’arrêt (hudoc.echr.coe.int/)